vendredi 20 mai 2011

Dean Koontz est-il raciste ?

Le titre du roman étudié ici est "Regard oblique", publié en 2002 dans la collection Best sellers de Robert laffont. Les sous-entendus, les insinuations, les mots-associés sont typiques d'une certaine littérature, calibrée pour plaire au plus grand nombre. Il s'agit d'un roman fantastico-policier de Dean Koontz, auteur nord-américain spécialiste des très gros tirages.





Dans ce roman il est fait explicitement allusion 13 fois aux cheveux des personnages : 8 blonds, 3 bruns, 1 roux, 1 blanc.
Les huit blonds ou blondes sont présentés sous un jour extrêmement négatif : Soit elles sont assassinées dans des circonstances humiliantes, soit il s'agit de tueur psychopathe, soit de femme légère et écervelées, soit de personnage malsain, soit de femme-accessoire de music-hall du type potiche, de toutes façons dans des situations dépréciatives avec une constance telle que cela ne peut être le fait du hasard. Il semble convenu et établi qu'il y ait un lien direct entre blondeur et malheur, blondeur et humiliations.

Tous les autres personnages dont les cheveux sont signalés comme brun, roux ou blanc sont présentés sous un jour favorable ou très favorable. De même tous, rigoureusement tous les afro-américains, sont présentés sous un jour très positif. A aucun moment, les femmes de couleur ne seront désignées sous le vocable :"La noire" ou "la crépue". Ce traitement, somme toute méprisant, est réservé à "la blonde".


A- Les personnages blonds

Page 15 : "Au soleil comme dans l'ombre, ses cheveux blonds (de Naomi) scintillaient toujours du même éclat"
Apparemment, cette occurrence est présentée d'une manière favorable; pourtant, peu après, soit 3 pages plus loin, cette jeune femme est mise à mort par son mari; elle est poussée violemment d'une hauteur de 45 m alors qu'elle était enceinte.

Page 64 :"L’infirmière s'appelait Victoria Bressler, c'était une blonde séduisante."
Elle aussi va être assassinée puis son cadavre profané.

Page 178 : "Ses cheveux blonds en criniére lui donnaient une tête léonine, mais la petite boucle frisée qui lui tombait sur le front discréditait sa toute puissance, rappelant fâcheusement les empereurs décadents de la Rome ancienne; (...) Elle revit la chevelure jaune ondulée du personnage maléfique et regarda fixement les boucles blondes sur le front de Deed. (...)Son visage déformé par les feuilles et les pétales du vitrail était celui d'un démon sortant directement d'un cauchemar"
Il s'agit là du chauffard qui a tué une femme, qui vient demander pardon à la famille de la victime tout en étant ivre, et qui, de plus, a une conduite très suspecte. Il est jeté dehors vigoureusement, et il disparaît.

Page 204 : "Sans autre moyens techniques, il sut rendre ces prodiges d'habileté plus envoûtants que les tours les plus spectaculaires, comme le lapin qui sort du chapeau, ou la blonde coupée en deux par une tronçonneuse"
Le locuteur est un magicien afro-américain de music-hall; la blonde est ici associée à un lapin en tant qu'accessoire de tours de magie, et de plus présentée dans un environnement particulièrement macabre, au moins dans les connotations implicites.

Page 229 :"Le détective regarda les billets avec la convoitise et l'intensité d'un satyre lorgnant une blonde à poil"
Le lecteur enregistre que la blonde est nue (en position d'infériorité manifeste) et de plus en proie à un satyre.

Page 281 :"Il remarqua alors une blonde qui l'observait depuis un moment dans le box voisin (...) Elle dut sentir qu'elle avait peu de chance de le séduire, car elle se détourna aussitôt et ne regarda plus une seule fois dans sa direction"
Ici, le lecteur assimile l'idée selon laquelle "la blonde" se prend un "râteau"; on peut considérer qu'il s'agit d'une humiliation assez sévére pour "la blonde".

Page 304 ;"Finalement, une blonde en minijupe et sans soutien gorge dont le T.shirt arborait la tête d'Albert Einstein tirant la langue, s'écria(....)Dans un élan de commisération, elle posa sa main sur la cuisse de Junior (...)La blonde écarquillait les yeux (...) Cette blonde l'allumait (...)
Ce roman fourmille de personnages ; pourtant la seule femme qui "allume", qui n'a pas de soutien gorge, qui fait des avances explicitement sexuelles, et qui écarquille les yeux est blonde. Toutes les autre femmes, afro-américaines ou brunes sont présentées comme prudes et réfléchies. Une lectrice lambda entérinera le fait que "les blondes" sont lubriques et extraverties; de fait, elles constituent un danger pour les familles ou les couples, ce qui les rend peu fréquentables.
On relèvera également que "la blonde" livre ingénument des renseignements qui permettent au tueur en série de se rapprocher de l'enfant qu'il souhaite tuer. Cette attitude stupide, irréfléchie, écervelée est tout à fait typique des "blondes"; là, en plus, cette stupidité est criminelle. Décidément, une personne à fuir !

Page 437 : "Des mèches blondes sortaient par dessus son bandage avant; sinon, seuls ses yeux, ses narines et ses lèvres étaient visibles"
Il s'agit ici du tueur psychopathe, une figure du mal, qui a eu une furonculose aigüe; le lecteur aura attendu la page 437 sur 516, pour apprendre que le tueur est blond; cela constitue sans doute un procédé narratif intentionnel qui renforce dans l'esprit du lecteur le caractère maléfique de sa couleur de cheveux. Ce tueur en série s'appelle Cain (en fait Caïn), comme le premier homicide de l'Humanité; il est donc ontologiquement un meurtrier, dans un destin qui le dépasse et qu'il ne peut contrôler. Son prénom est Enoch, dans la Bible le fils de Caïn. Cette proximité fusionnelle suggére sournoisement un parfum d'inceste. En effet, quel est l'individu qui peut être à la fois le père et le fils pour une même personne, sinon un incestueux ?
Une autre caractéristique essentielle de ce tueur compulsif est qu'il est poussé par une force mystérieuse à rechercher pour l'assassiner un enfant-miracle; or, celui-ci vit avec la propre fille d'Enoch, issue d'un viol cauchemardesque et qu'il n'a jamais vue. Le lecteur comprend que, dans sa fureur homicide, le père assassinera aussi bien l'une que l'autre.La suite logique de son identification est l'extermination : Dans le roman, il est en effet précipité aux enfers par sa propre fille.
Tueur en série, instrument des forces du mal, assassin de sa femme enceinte, atteint de furonculose, donc contagieux au propre comme au figuré, incestueux, raciste, infanticide, tueur d'enfant, violeur... Décidément, ce blond est un monstre à éliminer et détruire au plus vite. Le lecteur est poussé à le haïr avec férocité, sa destruction sans avertissement ne serait que justice.



B- Les personnages bruns

Page 93 "L'enfant était beau à tous les égards. (....) Il avait aussi une belle et étonnante chevelure du même brun sombre que celle de Joey"
Il s'agit ici d'un enfant miracle, doué de pouvoirs para normaux, dont toutes les caractéristiques sont extrêmement positives.

Page 232 : "Il aimait son visage, aussi; Elle ne se maquillait pas et tirait ses cheveux bruns en chignon"
Il s'agit ici d'une jeune et jolie dentiste, donc CSP++, qui n'a que des qualités en plus de connaître une vie heureuse.

Page 308 : "Une femme très séduisante, assise au bar, attira son regard. Cheveux noirs, brillants, la parure même de la nuit. Teint de miel, lisse comme la peau d'un jeune fruit. prunelles sombres et chatoyantes au reflet des étoiles éternelles. OOH, cette femme inspirait le poète en lui. Elle était d'une beauté émouvante"
Il s'agit en fait d'un travesti millionnaire, qui attire le tueur dans son lit; on s'aperçoit ici également du caractère étroit et discriminatoire du psychopathe, qui refuse violemment de passer la nuit avec lui.


C- Le personnage roux

Page 130 : "Originaire du moyen-Orient, cet homme avait le teint olivâtre, et ce qui était plus singulier, les cheveux roux; Ses sourcils et sa moustache étaient également roux, son beau visage avait l'air d'un bronze patiné"
Il s'agit ici d'un personnage extrêmement positif, bourré de qualité et qui sera sélectionné pour vivre dans le bonheur.


D- Le personnage aux cheveux blancs

Là aussi, il s'agit d'un personnage extrêmement positif, obstétricien- pédiatre, donc CSP++, qui lui aussi sera sélectionné pour vivre dans la félicité.


Ce roman est passionnant, avec beaucoup de rebondissements; la technique de Koontz est à son apogée. C'est pourquoi cette propagande est particuliérement pernicieuse; on ne lit pas ce genre de littérature pour attraper une migraine et les sensations diffuses, les intentions sous-jacentes passent avec efficacité dans l'esprit du lecteur. Ce qui marquera hypnotiquement le lecteur, c'est que blondeur = malheur et que blond = négatif et malsain; ce que l'on peut parfaitement définir comme des stéréotypes racistes. L'installation de ces préjugés raciaux est d'autant plus dangereuse qu'ils stigmatisent une petite minorité; en effet, les blonds représentent moins de 5 % de la population totale aux USA.


Ce roman ressemble fort à un texte de persécution, documents bien connus dans l'Histoire de l'Humanité (cf. les travaux de René Girard). Ces textes identifient une minorité (sociale, religieuse, ethnique, etc...) tout à fait détestable, tenue pour responsable des malheurs et des tensions existants dans une société; ces boucs émissaires sont chargés de tous les péchés et portent individuellement la responsabilité des fautes collectives. Le simple contact avec eux peut entraîner des catastrophes et il est bon de les ostraciser. Ils sont à proprement parler "monstrueux", pratiquent l'assassinat, le viol, la lubricité, l'empoisonnement, l'inceste, le vol etc..... Ils sont marqués par des signes distinctifs très reconnaissables, ici la blondeur. L'avenir de cette minorité, si ce cadre de référence subsiste et se généralise, ne peut être que de subir la persécution, parfois jusqu'à la mort de certains de ses membres. Les persécuteurs, intoxiqués par cette propagande et la frénésie de la vengeance, ne se préoccuperaient pas de la réalité ou de la justice.Ils ignorent que leurs victimes sont innocentes, et agresseront ou humilieront sans remords. Dans le contexte étasunien, ces boucs émissaires peuvent également payer pour la traite négrière en tant que descendants supposés des esclavagistes.


Nous devons donc rappeler ici qu'aucune faute n'est héréditaire et que la blondeur n'est pas la marque de Caïn; il est inadmissible qu'un auteur reconnu jette de l'huile sur le feu des tensions raciales, surtout aux USA. Il devrait plutôt mettre en lumière que les persécutés, partout et toujours, sont des victimes innocentes de la folie des hommes.

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